“Partout la ville … éclate …, cette forme sociale admirable, cette œuvre par excellence de la praxis et de la civilisation, se défait et se refait sous nos yeux. … La ville empêche les puissances de manipuler à leur gré les citadins-citoyens, individus, groupes, corps. … Tantôt l’État, tantôt l’entreprise, tantôt les deux … tendent à accaparer les fonctions, attributs, prérogatives de la société urbaine. …
Et cependant, sur ce fondement qui s’ébranle, la société urbaine et l”urbain’ persistent et même s’intensifient. … La forme de l’urbain, sa raison suprême, à savoir la simultanéité et la rencontre, ne peuvent disparaître. … En même temps que lieu des rencontres, convergence des communications et informations, l’urbain devient ce qu’il fut toujours : lieu de désir, déséquilibre permanent, siège de la dissolution des normalités et contraintes, moment du ludique et de l’imprévisible. …
La ville historiquement formée ne se vit plus, ne se saisit plus pratiquement. Ce n’est plus qu’un objet de consommation culturelle pour les touristes, pour l’esthétisme avides de spectacles et de pittoresque. Même pour ceux qui cherchent à la comprendre chaleureusement, la ville est morte. …
Impossible d’envisager la reconstruction de la ville ancienne, mais seulement la construction d’une nouvelle ville. … La vie urbaine n’a pas encore commencé. Nous achevons aujourd’hui l’inventaire des débris d’une société millénaire dans laquelle la campagne a dominé la ville, dont les idées et ‘valeurs‘, les tabous et les prescriptions, étaient pour une grande part d’origine agraire, à dominante rurale et ‘naturelle’. Des cités sporadiques émergeaient à peine de l’océan campagnard. …
Que la ville redevienne ce qu’elle fut : acte et œuvre d’une pensée complexe, qui ne le souhaiterait? Mais l’on se maintient ainsi au niveau des vœux et aspirations et l’on de détermine pas une stratégie urbaine. …
Le droit à la ville s’annonce comme appel, comme exigence. Par des détours surprenants – la nostalgie, le tourisme, le retour vers le cœur de la ville traditionnelle, l’appel des centralités existantes ou nouvellement élaborées – ce droit chemine lentement. … Le droit à la ville ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. il ne peut se formuler que comme droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée. … La société urbaine dont s’expose ici la possibilité ne peut se contenter des centralisées passées …
D’où tirer le principe du rassemblement et son contenu? Du ludique. … Que la société dite de consommation esquisse cette direction, cela ne fait aucun doute. … Il s’agit donc seulement de donner forme à cette tendance, encore soumise à la production industrielle et commerciale de culture et de loisirs …”
aus: Henri Lefebvre: Le Droit à la Ville. Paris: Anthropos 1968, S. 84, 86, 90, 91, 117, 120, 125, 132.
Abb.: Olalekan Jeyifous: Shanty Mega Structures of Lagos Nigeria, 2021, Detail, Moma, im Internet.
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