Stress
“Hommes sans qualités, notre fatigue elle-même nous échappe, s’inscrit dans notre corps sans s’offrir à notre mémoire. Nous avons … pour cette usure indécise, un nom d’importation récente, tout pimpant encore de scientificité : le stress. …
Soucis professionnels, anomie de la solitude, anxiétés familiales, dureté silencieuse des rapports de rue, transports éreintants : nos désarrois de tous les jours nous mettent dans un état de tension sans intensité; ce sont des dommages irréparables, une violence à la fois familière et diffuse qui se confond avec l’air qu’on respire, qui reste en deçà du symptôme, et dont on ne peut même pas tirer de récit. …
Nous sommes désormais en mesure de nommer cette détresse brumeuse, mais pas d’échapper à son imprécision. …
Nous n’avons pas affaire à un adversaire singulier, mais à mille désagrements indistincts, auxquels notre corps réagit tout seul sans parfois même que nous nous en redions compte. … nous sommes harassés, et en même temps rien ne nous arrive. …
Parler du stress, ce n’est pas seulement céder à une mode terminologique, c’est aussi un signe parmi d’autres d’un nouveau rapport à la quotidienneté … Sous l’appelation péjorative de stress, la langue familière exprime et chiffre les coûts du quotidien, toutes les perturbations irréparables qu’il provoque. …
Chaque jour, semble s’accroître le nombre … de ceux qui refusent de se sacrifier à leur propre survie. … Les nouveau réfractaires devancent l’épuisement pour mieux s’y soustraire, et miment les conséquences du stress afin d’échapper à ses effets …”
aus: Bruckner, Pascal / Finkielkraut, Alain: Au coin de la rue, l’aventure. Paris: Seuil 1979, S.166-170.
10/04