Investissements
“… [Dans les années 50], comment un capitaliste belge peut-il s’enrichir et accumuler davantage du capital? S’il ne fait rien de son argent, celui-ci va perdre de sa valeur. Il va donc chercher à le faire fructifier… en le réinvestissant. Pourquoi choisit-il d’investir en Belgique et dans les entreprises ? Jusqu’à la fin des années 70, il existe un cadre réglementaire relatif à la circulation des capitaux, qui fait que l’investisseur aura plus d’avantages à réinvestir son argent en Belgique que de le faire circuler et fructifier sur les marchés financiers internationaux.
Bien sûr, l’investissement industriel n’est pas une formule magique pour s’enrichir : une entreprise peut faire faillite; et même quand les affaires marchent, il faut en général un certain temps pour que l’investissement rapporte. … En effet, l’investisseur ne risquera son bel argent dans une entreprise industrielle que si cela promet de lui rapporter ‘un peu plus’ qu’un simple placement obligatoire (par exemple prêter de l’argent à l’Etat, en échange d’une rente fixée à l’avance). … S’il y a inflation, les taux d’intérêt réels (différence entre le taux affiché et l’inflation) sont bas, il est donc difficile de s’enrichier simplement en prêtant de l’argent, et il devient presque indispensable, pour que ses 100 millions € en deviennent 150 dans quelques années, de les investir dans la production, généralement ici, en Belgique. …
Dès le début des années 80, les grands actionnaires vont réclamer leur ‘droit à la liquidité’ : le fait d’investir son capital dans une entreprise, en effet, l’immobilise’, l’actionnaire se trouvant, pour une certaine durée, lié au sort de l’entreprise dans laquelle il a placé son capital. Le fait que de plus en plus d’entreprises soient cotées en Bourse permet alors aux actionnaires de se retirer rapidement, ou d’utiliser leur capital pour des opérations de fusion-acquisition. Avec la libéralisation des mouvements de capitaux et les possibilités techniques offertes par les technologies de communication électronique, la propriété des entreprises (le capital) est devenu, par la grâce de nos gouvernements, quasi totalement liquide.
Ce, qui fait que le terme ‘investir’ ne signifie plus, bizarrement, immobiliser du capital pour développer des moyens de production (des bâtiments, des machines, des recherches), mais de plus en plus réaliser des mouvements de capitaux sans le moindre effet, dans le meilleur des cas, sur la réalité concrète des entreprises : quand une multinationale, par exemple, vend une de ses divisions pour racheter, en Bourse, les actions d’un de ses concurrents afin de fusionner en un groupe plus grand, des milliards s’échangent, les commentateurs économiques nous parlent d’investissements, mais il n’y a nulle part une machine, un produit, ou un emploi de plus.”
aus: Savage, Reginald u.a.: Histoire inédite de l’économie en Belgique. De 1945 à nos jours. Charleroi: Couleurs livres 2008, S. 28-35.
01/10