Multiculturalismes 1
“L’alternative … est simple: ou les hommes ont des droits, ou ils ont une livrée, ou bien ils peuvent légitimement se libérer d’une oppression même et surtout si leurs ancêtres en subissant déjà le joug, ou bien c’est leur culture qui a le dernier mot. et comme dit Marx, le serf fouetté par le knout doit impérativement ravaler ses cris de rébellion et de souffrance, ‘dès l’instant que ce knout est un knout chargé d’années, héréditaire et historique.’
De nos jours, cette opposition s’est brouillée: les partisans de la société multiculturelle réclament pour tous les hommes le droit à la livrée. …
C’est aux dépens de sa culture que l’individu européen a conquis, une à une, toutes ses libertés, c’est enfin, et plus généralement, la critique de la tradition qui constitue le fondement spirituel de l’Europe, mais cela, la philosophie de la décolonisation nous l’a fait oublier en nous persuadant que l’individu n’est rien de plus qu’un phénomène culturel. … À l’épreuve de l’Autre, la mise en question de l’être pas l’esprit est devenue le signe distinctif d’un être particulier, d’une ethnie bien précise; … la révolte contre la tradition s’est transformée en coutume européenne. …
Les héritiers du tiers-mondialisme ne sont pas seuls à préconiser la transformation des nations européennes en sociétés multiculturelles. Les prophètes de la postmodernité affichent aujourd’hui le même idéal. Mais … s’éclater est le mot d’ordre de ce nouvel hédonisme … Ils prônent moins le droit à la différence que le métissage généralisé, le droit de chacun à la spécificité de l’autre. Multiculturel signifiant pour eux abondamment garni, ce ne sont pas les cultures en tant que telles qu’ils apprécient, mais leur version édulcorée, la part d’elles-mêmes qu’ils peuvent tester, savourer et jeter après usage. …
‘Toutes les cultures sont également légitimes et tout est culturel’, affirment à l’unisson les enfants gâtés de la société de l’abondance et les détracteurs de l’Occident. Et ce langage commun abrite deux programmes rigoureusement antinomiques.”
aus: Alain Finkielkraut: La défaite de la pensée. Paris: Folio 1991 (Orig,-Ausg. 1987), S.142-150.
08/13