Jeunisme
“Les Jeunes: ce peuple est d’apparition récente. Avant l’école, il n’existait pas. … Avec la scolarisation de masse, l’adolescence elle-même a cessé d’être un privilège bourgeois pour devenir une condition universelle. …
Fondée sur les mots, la culture au sens classique a le double inconvénient de vieillir les individus en les dotant d’une mémoire qui excède celle de leur propre biographie, et de les isoler, en les condamnant à dire ‘Je‘, c’est-à-dire à exister en tant que personnes distinctes. Par la destruction du langage, la musique rock conjure cette double malédiction: les guitares abolissent la mémoire; la chaleur fusionnelle remplace la conversation, cette mise en rapport des êtres séparés; extatiquement, le ‘je‘ se dissout dans le Jeune.
Cette régression serait parfaitement inoffensive, si le Jeune n’était maintenant partout. … De nos jours, la jeunesse constitue l’impératif catégorique de toutes les générations. … Ce ne sont plus les adolescents qui, pour échapper au monde, se réfugient dans leur identité collective, c’est le monde qui court éperdument après l’adolescence. … ce qu’on appelle aujourd’hui communication, l’atteste: l’hémisphère non verbal a fini par l’emporter, le clip a eu raison de la conversation, la société est ‘enfin devenu adolescente’.”
aus: Alain Finkielkraut: La défaite de la pensée. Paris: Folio 1991 (Orig.-Ausg. 1987), S.172-179.
Abb.: Kinez Riza: In The Woods is Perpetual Youth, 2015, indoartnow, im Internet.
08/13