Dénazification 1
Il semble qu’au Conseil Communal, on ait fait un parallèle entre l’actuelle discussion sur une “déradicalisation” et la “dénazification” en Allemagne.
Il est très utile de garder à l’esprit que le terrorisme n’est pas le monopole des islamistes : il en existe de toutes les couleurs, et il y a de fortes ressemblances entre les différents courants terroristes.
En parlant de “dénazification”, on pourrait parler de deux phénomènes différents : en premier lieu, la “dénazification” de la société allemande après 1945, en second lieu, la “dénazification” d’une personne qui a plongé dans les mouvements néonazis, par exemple ces dernières années.
En ce qui concerne l’après-guerre il faut constater que probablement la majorité des Allemands, au début de l’année 1945, adhéraient toujours aux idées nazies. Certes on avait perdu la guerre, les alliés imposaient leur loi, alors on cachait ses idées, mais sans pour autant les abandonner. Ensuite, la politique des alliés et la réussite économique des années 50 et 60 ont démontré que rejoindre la mode de vie de l’Occident pourrait payer… Est arrivée alors la génération de 68 qui, alarmée par le procès Eichmann, découvrait le passé de son pays et questionnait ses parents: “Qu’est-ce que TU as fait pendant ces 12 ans?” Le nazisme de la génération des parents était l’un des grands sujets de 68 en Allemagne, à côté de la guerre du Vietnam, etc. Ce sont les soixante-huitards qui ont fait atterrir l’Allemagne de Ouest à l’Ouest. Le nazisme, même ambiant, était enfin marginalisé.
Les idées racistes ou nazies ne s’éradiqueront probablement jamais. De temps à autre, des mouvements d’extrême-droite naissent et meurent, et il règne toujours l’un ou l’autre comportement raciste.
Par contre, en Allemagne de l’Est, la fin du communisme, qui avait fait taire les idées nazies sans jamais les combattre, a fait naître un large mouvement raciste et d’extrême-droite, touchant le coeur d’une société est-allemande qui ne s’est jamais ouverte à l’étranger et qui ne valorise pas la démocratie de la même manière qu’à l’Ouest. Des centaines de centres pour réfugiés incendiés cette année, et personne ne parle de “terrorisme”, bien que ce le soit évidemment ; on parle d'”hostilité à l’asile”, comme si c’était une opinion politique aussi valable qu’une autre.
Je crois, qu’il est très important de distinguer cinq choses:
- la haine que des gens peuvent nourrir contre l’une ou l’autre groupe de la société: les juifs, les musulmans, les occidentaux, les gauchistes, l’establishment, les kurdes, les mécréants, les étrangers, …
- les raisons sociales ou individuelles qui poussent certains à la haine
- la violence qu’une petite minorité des haineux, cités ci-dessus, peut développer : des bousculades au meurtre et au massacre
- les moyens donnés pour vivre cette violence
- le soutien dont bénéficient les gens violents chez les non-violents, même des non-haineux, par une mauvaise solidarité de famille, de classe, d’ethnie, etc.
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Dans la “dénazification” des individus, il faut garder cette distinction en tête. Il n’est pas du tout nécessaire que tout le monde s’aime. Personne n’est obligé d’aimer ses voisins marocains ou flamingants. Idéalement, on se respecte entre adultes, on respecte un minimum de courtoisie humaine entre voisins.
Oui, il faut se battre sur tous les fronts: combattre les frustrations, les raisons des frustrations, les préjugés et la haine. Mais la priorité doit être donnée, non au combat contre les idées haineuses, mais au combat contre la pratique violente de cette haine. Un haineux qui cesse d’agir violemment, c’est déjà un succès!
En certains endroits d’Allemagne de l’Est, on voit, en cette année 2015, les signes d’une guerre civile naissante: dans les villes de Dresde et de Leipzig, il y a chaque lundi des manifestations d’extrême-droite et en même temps des contre-manifestations démocrates. À d’autres endroits, les uns ou les autres restent plutôt entre eux, sans contre-manifestations. Une bonne partie des adhérents de Pegida (Mouvement populiste des « patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident », basculant vers l’extrême- droite) ne se voient pas comme étant d’extrême-droite, ils sont convaincus d’exprimer les idées de la société moyenne.
Des projets de réinsertion d’anciens néo-nazis, donc de “dénazification”, sont nombreux. Ils comportent souvent des discussions sans fin avec des gens désagréables, et sont faits d’avancées et des retours en arrière. On remarque que les gens qui quittent les mouvements nazis le font parfois par dégout, par un réveil moral, parfois grâce à des discussions avec des gens de l’extérieur, mais parfois, c’est juste la situation personnelle qui change : on grandit, on fonde une famille, on trouve du travail, on ne sort plus avec sa bande de skinheads.
J’ai l’impression qu’une bonne partie des changements de nos sociétés sont liés au développement des médias: l’invention de l’imprimerie, par Gutenberg, a rendu possibles la réforme et les guerres de religion ; pour la première fois dans l’histoire, des mouvements réformateurs dans l’Église catholique pouvaient s’entendre et s’organiser à distance. Ce sont les écoles, les livres d’école et les journaux qui ont formé les États-nations au XIXème siècle. C’est la radio et les films qui ont accéléré la montée d’Hitler. La télé nous a bercés dans notre société de consommation chérie.
C’est fini. On plonge dans l’ère des réseaux dits sociaux qui morcellent nos sociétés en myriades de micro-sociétés. Un nombre toujours grandissant de nos contemporains s’enferme dans des cercles d'”amis” facebook, twitter etc. – des cercles de pensées uniques, chaque cercle se nourrissant d'”informations” qui continuent à renforcer sa propre pensée. On n’est plus soumis à la confrontation avec des gens qui pensent autre chose. La distance géographique ne compte plus. Les plus grands médias nord-américains n’ont qu’un auditoire de 3% de la population. Nous sommes aussi sur la voie d’une telle situation. Les jeunes Marocains du coin vivent dans un monde imaginaire complètement différent du monde des spectateurs de VTM à Kapelle-op-den-Bos et des lecteurs belges du Canard enchaîné. Comment encore construire une société avec cette génération, sinon en quittant nos petits écrans et en redescendant dans la rue ?
écrit par moi pour le bulletin 113 de Démocratie Schaerbeekoise, 10-12/2015 (merci à Sylvie pour ses corrections)
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