“J’avoue que je n’ai connu cette vérité que cinq ou six ans après que j’ai été employé dans le maniement des affaires. Mais j’en ai maintenant tant de certitude que j’ose dire hardiment que négocier sans cesse, ouvertement ou secrètement, en tous lieux, encore même qu’on n’en reçoive pas un fruit présent et que celui que l’on peut attendre à l’avenir ne soit pas apparent, est chose du tout nécessaire pour le bien des États. …
Celui qui négocie toujours trouve enfin un instant propre à venir à ses fins, et, quand même il ne se trouverait pas, au moins est-il vrai qu’il ne peut rien perdre, et que, par le moyen de ses négociations, il est averti de ce qui se passe dans le monde, ce qui n’est pas de petite conséquence pour le bien des États. Les négociations sont des remèdes innocents, qui ne font jamais de mal …
Les médiocres Esprits resserrent leurs pensées dans l’entendue des États où ils sont nés. …
Il faut agir en tout lieu et, ce qui est bien à remarquer, selon l’humeur et par moyen convenables, à la portée de ceux avec lesquels on négocie. Divers nations ont divers mouvements: les unes concluent promptement ce qu’elles veulent faire, et les autres y marchent à pas de plomb. …
… au lieu de relever mal à propos de certains discours faits imprudemment par ceux avec qui on traite, il faut les souffrir avec prudence et adresse tout ensemble, et n’avoir d’oreilles que pour entendre ce qui fait [parvenir] à ces fins. …
On se méfie toujours de celui qu’on ne voit agir avec finesse, et qui donne impression de sa franchise et sincerité n’avance pas peu ces affaires. …
Les mêmes paroles ayant souvent deux sens, l’un qui dépend de la bonne foi et de l’ingénuité des hommes, l’autre de leur art et de leur subtilité, par laquelle il est fort aisé de détourner la vraie explication d’un mot à des significations volontaires, Il est du tout nécessaire d’employer aux négociations des personnes qui connaissent le poids des paroles et qui sachent bien coucher par Écrit.
Les grandes négociations ne doivent par avoir un seul moment d’intermission. Il faut poursuivre ce qu’on entreprend avec une perpétuelle suite de dessein en sorte qu’on ne cesse jamais d’agir que par raison et non par relâche d’Esprit, par indifférence des choses, par vacillation de pensées et par résolutions contraires.
Il ne faut par ainsi se dégouter par un mauvais événement, puisqu’il arrive quelquefois que ce qui est entrepris avec plus de raison réussit avec moins de bonheur.
Il est difficile de combattre souvent et d’être toujours vainqueur. Et c’est une marque d’une extrême bénédiction, quand les succès sont favorables aux grandes choses et seulement contraires en celles dont l’événement est peu important. …
En matière d’État, il faut tirer profit de toutes choses; ce que peut être utile ne doit jamais être méprisé. …
Bien que ce soit un dire commun que quiconque a la force a d’ordinaire la raison, il est vrai toutefois que [de] deux puissances inégales, jointes par un traité, la plus grande court le risque d’être plus abandonnée que l’autre. La raison en est évidente: la réputation est si importante à un grand prince qu’on ne lui saurait proposer aucun avantage, qui puisse compenser la perte qu’il ferait, s’il manquait aux engagements de sa parole et de sa foi. … Les Rois doivent bien prendre garde aux traités qu’ils font: mais quand ils sont faits, ils doivent les observer avec religion.
Je sais bien que beaucoup de politiques enseignent le contraire, Mais … je soutiens que … un grand prince doit plutôt hasarder sa personne même [et] les intérêts de son état que de manquer sa parole, qu’il se peut violer sans perdre sa réputation et par conséquence la plus grande force des souverains. …”
aus: Richelieu: Testament politique. Bruxelles: Complexe 1990 (geschrieben 1639), S.51-58
09/04